Réédition de septembre – octobre 2022
98 pages, 8.90€
Surfant sur la vague de la série « Les anneaux de pouvoir » diffusée au même moment sur Amazon Prime, le magazine Lire a réédité ce hors-série consacré à Tolkien, déjà paru en novembre 2019.
Le contenu est donc pour l’essentiel identique, même si cette édition contient quelques mises à jour : par exemple, les pages initialement consacrées à l’adaptation de Peter Jackson sont remplacées par des articles sur la série télévisée.
Si vous avez déjà lu l’édition précédente, l’intérêt de vous procurer celle-ci est donc très limité (et à mon humble avis, la couverture initiale était nettement plus sympa : je trouve toujours cela décevant lorsqu’une photo d’un film ou d’une série est utilisée au lieu d’une illustration originale).
Pour quel public ?
Cette revue vous conviendra si comme moi, vous êtes fan de l’univers de Tolkien et souhaitez en apprendre plus sur le sujet, et ce, que vous soyez un novice en la matière ou que vous ayez des connaissances de base à approfondir. En revanche, si vous avez déjà un niveau plus avancé, il est peu probable que ce magazine vous apprenne de nouvelles choses.
Le contenu n’a rien de particulièrement original, mais il est de qualité et très clair. Certaines chroniques et interviews soulèvent des questions ou analysent l’univers sous des angles particulièrement intéressants, et permettent d’ouvrir des pistes de réflexion.
Selon moi, c’est un compromis parfait si vous cherchez à apprendre ou à vous remettre en tête rapidement les grandes lignes de l’univers et de la vie de l’auteur, grâce à un format illustré, facile à lire et à un prix assez accessible, tout en éveillant votre curiosité sur des questions un peu plus pointues, et ainsi vous permettre de creuser par la suite les sujets qui vous ont intéressés.
Qu’est-ce qu’on y trouve ?
Le magazine est divisé en quatre grandes thématiques :
- « Une vie » : une partie très classique sur la vie de Tolkien. On y retrouve une biographie, avec un focus sur ses années à Oxford, et des développements sur sa personnalité et ses centres d’intérêt.
- « Bienvenue en Terre du Milieu » : plusieurs portes d’entrée vers le fameux univers créé par Tolkien, notamment via sa géographie et ses personnages.
- « Une nouvelle mythologie » : des analyses sous différents angles de l’aspect mythologique de l’œuvre, dans ses inspirations, ses objectifs, ses interprétations.
- « Influence et descendance » : des articles assez brefs sur l’influence de Tolkien sur la fantasy moderne et les difficultés d’adaptation de son œuvre, et des interviews des showrunners et acteurs de la série « Les Anneaux de pouvoir. »
Je n’ai pas grand-chose à dire au sujet de la première partie biographique, mais je vous propose de découvrir et commenter quelques éléments extraits des articles figurant dans les trois autres thématiques.
Analyse et critique
« Bienvenue en Terre du Milieu »
Dans l’article « Terre du Milieu, mode d’emploi » de Julien Bisson, j’ai aimé la présence d’une frise chronologique simple, permettant de visualiser de façon globale les époques de la mythologie de Tolkien et d’y rattacher les différents points marquants. Cette frise permet aussi de se rendre compte du caractère cyclique des événements si on les regarde à grande échelle, en particulier concernant l’enchaînement de l’ascension puis la chute des grands antagonistes. Cette construction pourrait peut-être paraître un peu simpliste ou caricaturale, mais si on pense à l’Histoire de notre monde… Oh, well.
Cette partie contient également une carte belle et pratique de Christophe Chadefaud, qui retrace les trajets suivis par les personnages dans le Hobbit et le Seigneur des anneaux. Mention spéciale pour son titre : « Une carte pour les retrouver tous ».
Fun fact dans l’encart consacré à l’histoire de la traduction et la publication en France du Seigneur des anneaux, dans l’article « L’histoire secrète du Seigneur des anneaux » de Julien Bisson : on apprend que Christian Bourgois en a acheté les droits sans en avoir lu une ligne !
En revanche, j’ai trouvé le « Dictionnaire des personnages » assez décevant : un grand nombre de personnages est passé en revue, mais on ne fait vraiment que les survoler. On trouve seulement quelques lignes de présentation rapide sur chacun, qui ne sont utiles que si on n’a pas lu les livres ou vu les films.
« Une nouvelle mythologie »
J’ai particulièrement aimé l’entretien avec Vincent Ferré, spécialiste de Tolkien, qui aborde de nombreuses questions en quelques lignes. Il expose par exemple son point de vue sur les critiques estimant que sous certains aspects, l’œuvre de l’auteur peut être qualifiée de réactionnaire voire raciste.
Notamment, il conteste l’idée selon laquelle la Terre du Milieu est un monde divisé en races hiérarchisées : il rappelle qu’il s’agit de différents peuples (le mot « people » est utilisé dans le texte original en anglais), mais il n’y a qu’une seule espèce humaine. Selon Tolkien, chaque peuple représente une facette de l’humain, sans aucune hiérarchie. Si l’on se penche par exemple sur les Elfes, qui pourraient être vus de premier abord comme des êtres supérieurs, on s’aperçoit qu’ils vivent dans le regret permanent du passé, la nostalgie d’un monde meilleur disparu à jamais, et qu’ils ont besoin des Hommes pour les secourir.
L’article « La fabrique des monstres » de Grégory Bouak nous propose une intéressante réflexion sur les créatures du mal dans l’œuvre. On en apprend plus sur leurs origines (préexistantes ou inventées par Tolkien), et leurs représentations dans les livres : les créatures sont peu décrites, seulement via quelques qualificatifs physiques. Cela permet à l’auteur de réinventer à sa guise le bestiaire préexistant comme les trolls, mais aussi de mettre l’accent sur la prévalence de leurs caractéristiques psychologues, en tant qu’émanations du mal.
L’article « Catholique, mais syncrétique » de Léo Carruthers développe de façon convaincante son point de vue sur la question de la place du catholicisme dans l’œuvre de Tolkien, qui a pu selon lui être surestimée. S’il est clair que Tolkien met en avant des valeurs judéo-chrétiennes, il ne cherche pas à transposer une religion spécifique dans son univers. En effet, il crée une mythologie indépendante, qui s’inspire de multiples civilisations, et crée sa propre chronologie, ne pouvant pas être rattachée à un calendrier connu.
Enfin, l’article « Où sont les femmes ? » d’Hubert Artus, qui clôt cette troisième partie, m’a moins convaincue. Je l’ai trouvé assez superficiel, et surtout il m’a donné le sentiment de vouloir à tout prix absoudre l’œuvre de Tolkien de tout défaut, même les plus évidents, en cherchant à trouver une place importante aux personnages féminins dans l’histoire, alors qu’elles sont bel et bien reléguées au second plan.
Selon moi, on peut tout simplement le reconnaître, tout en sachant que de ce point de vue Tolkien était un auteur de son époque. Je trouve qu’il est un peu trop optimiste de le voir comme un féministe en avance sur son temps, en lui tricotant des intentions sur la base des quelques lignes d’intrigue attribuées aux trois femmes du Seigneur des anneaux.
« Influence et descendance »
L’article « La saga d’une succession » de Fabrice Colin souligne notamment que les caractéristiques qui nous semblent aller de soi dans la fantasy depuis des années (mythologie, intrigues géopolitiques, créatures diverses, découpage en tomes) ne l’étaient pas avant Tolkien.
Toutefois, j’ai été un peu agacée par l’encart méprisant sur Harry Potter, qui présente cette œuvre comme un succédané faiblard du Seigneur des anneaux. Les inspirations sont bien présentes, mais il faut être de bien mauvaise foi pour ne pas reconnaître l’inventivité et le renouveau apporté par cette saga.
Baptiste Liger et Ilan Ferry m’ont fourni de nouvelles pistes de réflexion dans « Adapte-moi si tu peux ». J’ai notamment appris que pour certains, l’adaptation cinématographique de Peter Jackson frôlerait le contre-sens, du fait de sa « fascination pour la guerre ». J’ignorais également que de nombreuses tentatives d’adaptations préalables des livres de Tolkien avaient avorté ou s’étaient avérées plutôt médiocres.
Enfin, les interviews autour de la série d’Amazon Prime m’ont personnellement peu intéressée, car assez superficielles et prévisibles.
Petite critique d’ordre général sur le choix des articles :
Globalement, le contenu de la revue n’est pas très nuancé : c’est un bloc d’éloges sur l’œuvre, qui vient contredire toute possible critique à son égard. Il me semble qu’il aurait été intéressant de présenter également des réflexions ou des débats sur des aspects moins positifs.
À cet égard, l’article « Tolkien vu par », qui présente en quelques lignes les perspectives d’auteurs contemporains de fantasy, permet d’esquisser quelques pistes. Par exemple, comme le souligne Catherine Dufour, les méchants chez Tolkien sont assez caricaturaux, et ce sujet aurait pu donner lieu à une intéressante analyse comparée.
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