Éditions J’ai Lu

TW : combats violents, deuil.


N.B. : cette critique porte sur l’ensemble des volumes regroupés sous le titre l’Assassin royal en français. Cela inclut donc la première et la seconde époque dans les intégrales publiées par J’ai Lu (que je vous recommande d’ailleurs pour éviter un découpage artificiel et intempestif), ou les treize volumes parus au format poche chez le même éditeur. Dans le découpage initial de l’autrice, cela correspond au Cycle de l’Assassin royal et au Cycle du Prophète blanc.

Si vous cherchez un rappel clair et facile de l’ordre de lecture de la saga, rendez-vous en fin d’article !


Genres : fantasy médiévale, roman d’apprentissage

Thèmes abordés : amitié, deuil, poids du destin, transmission familiale, paternité, difficulté de vieillir, relations homme/nature/animaux, acceptation de soi, gestion des traumatismes, tradition, tolérance, virilité et homosexualité, exercice du pouvoir.

Contexte

Nous sommes dans un monde de fantasy médiévale classique, inspiré du Moyen-Âge historique, avec un système féodal, des châteaux, des guerres à l’arme blanche.

Mon avis

Cette saga fleuve, qu’on ne présente plus, m’a emportée comme aucune autre. 

Au fil des pages, l’histoire est devenue un refuge, un cocon confortable que l’on sait pouvoir retrouver en se glissant parmi ses personnages si familiers. Elle a créé chez moi un confort, un sentiment d’appartenance que je me souviens n’avoir ressenti auparavant que lors de ma lecture de la saga Harry Potter à sa sortie. Or, pour cette dernière, je pense que cette implication était partiellement due au fait que j’ai débuté la série très jeune, et que je l’ai poursuivie au rythme de ses parutions, de l’enfance à l’âge adulte, grandissant en même temps que les personnages.

Il est vrai que la longueur de la saga nous permet de suivre les personnages sur plusieurs décennies, facilitant notre attachement, en particulier à Fitz que l’on rencontre à la petite enfance. Mais pour l’essentiel, c’est l’immense talent de conteuse de Robin Hobb qui fait toute la différence.

Et à ce niveau, je serais bien en peine d’essayer d’expliquer, par une analyse détaillée, pourquoi ces livres sont à ce point addictifs. J’ai également lu Les Aventuriers de la mer de la même autrice, et d’un point de vue objectif, je trouve cette seconde série plus surprenante, plus ambitieuse, plus adulte. La multiplication des points de vue et des sous-intrigues est menée avec maestria, il y a énormément d’action, du suspense, des personnages mémorables. Et pourtant… Ma préférence va indéniablement à L’Assassin royal, avec son narrateur unique et ses longs passages de calme plat.

Je comprends ce que les détracteurs du livre n’ont pas aimé : le rythme est assez inégal, parfois très lent. Les intrigues sont en soi assez simples, et s’il y a quelques coups de théâtre qui viennent nous secouer, ce n’est clairement pas un roman à retournement ou à cliffhanger. Le récit s’attache à nous faire partager le quotidien de Fitz, ses conversations, et toute son intériorité : doutes, tergiversations, remises en question. Chaque voyage, quête ou conflit est très détaillé. Pourtant, j’ai tourné les pages sans m’en rendre compte, et j’en redemande ! 

Si les inconditionnels des romans d’action n’y trouveront clairement pas leur compte, je recommanderais de tenter le coup même si ce n’est pas votre style de prédilection habituel, car l’autrice n’a pas son pareil pour vous prendre par la main et ne pas vous lâcher. 

J’en suis venue à parler de la « magie Robin Hobb » pour désigner sa capacité à nous faire entrer dans son répit sans avoir à le rendre palpitant à chaque instant, sans recourir à des artifices.

Un bémol à noter, partagé par de nombreux livres de fantasy classique : j’aurais aimé que les personnages féminins soient plus nombreux, plus développés et qu’elles tiennent des rôles plus intéressants. Mis à part Kettricken, on ne peut pas dire que les femmes aient des arcs narratifs passionnants ! C’est pourtant le cas dans les Aventuriers de la mer, qui contient une flopée de femmes indépendantes, comptant parmi les personnages principaux. 

Vous l’aurez compris, ce classique de la fantasy est pour moi un incontournable, et je suis la plus heureuse de savoir qu’il me reste encore deux cycles à lire !

Couverture de l'assassin royal, première époque deuxième partie

Points forts du roman 

Des personnages gris aux relations complexes et évolutives

À mes yeux, c’est le point fort ultime de cette saga. L’autrice donne vie à des personnages aux facettes multiples, elle nous montre leurs zones d’ombre, leurs ambivalences, les mécanismes profonds qui les font agir d’une certaine façon et voir le monde avec leur subjectivité. Ils sont loin d’être lisses : ils ont des moments de faiblesse, et ils sont parfois égoïstes, lâches ou menteurs.

Robin Hobb met parfaitement à profit la longueur de la saga, en faisant évoluer ses personnages de façon continue, et pas toujours pour le meilleur. Elle prend le temps de fouiller en profondeur les ressentis de Fitz, de détailler ses pensées et émotions au sujet des autres personnages, et le sentiment de proximité créé est immense. On connaît ses espoirs et ses non-dits, et lorsqu’un événement difficile se produit (car l’autrice n’épargne pas ses personnages), elle n’a pas besoin d’en faire des tonnes : on est submergé par l’émotion parce que l’on comprend toutes les implications, le passif qui est en jeu.

Et au-delà des protagonistes en tant que tels, leurs relations sont tout aussi travaillées. Elles se développent lentement, et prennent parfois des directions inattendues. Les amitiés tissées par Fitz sont de natures différentes, mais il n’y a jamais de relation caricaturale, toujours positive et équilibrée : parfois des amis se blessent, ne trouvent plus les mots, nourrissent de la rancœur. Et parfois, ils se surprennent, s’attendrissent ou s’admirent. 

Certaines des relations développées dans ce roman sont parmi les plus belles que j’ai pu lire, comme celle entre Fitz et Œil-de-Nuit, et Fitz et le fou. Ces trois personnages et leurs relations valent à eux seuls la lecture de la saga ! Pour une analyse plus poussée, avec spoilers, rendez-vous ci-dessous.

Un système de magie ancré dans l’intrigue

Le système de magie élaboré par l’autrice est à la fois simple et original. Il est construit sur une dualité entre deux types de magies, l’Art et le Vif, dont les subtilités et les pouvoirs nous sont expliqués très progressivement dans le récit. 

Au début, nous comprenons de façon basique que le Vif est une magie méprisée et redoutée, qui permet de se lier de façon exceptionnelle à un animal. L’Art est au contraire la magie de la lignée royale, et offre notamment la capacité de communiquer par l’esprit, voire d’influencer les actions des autres.

Le génie de Robin Hobb est qu’elle ne s’est pas arrêtée là : non seulement le lecteur apprend toujours plus de détails passionnants sur ces deux magies, mais en plus, il ne s’agit pas de simples éléments de décor. Elles sont essentielles dans la vie des personnages, et influencent leur caractère et leurs actions. Cela va même plus loin : l’Art et le Vif constituent des enjeux à part entière dans les intrigues. Grâce à tout cela, le système de magie apparaît incroyablement tangible pour le lecteur.

Un récit ultra immersif

L’autrice prend souvent le temps de nous décrire des scènes de la vie quotidienne de Fitz, et de nous partager les détails de son environnement. Ce n’est pas toujours le cas pour moi avec tous les livres, mais à la lecture de l’Assassin royal, j’ai parfaitement visualisé les lieux décrits, et pour certains, j’ai même l’impression d’y avoir passé beaucoup de temps.

Le parfait exemple est le château de Castelcerf : on est plongé dans son organisation qui fourmille de vie, l’agitation chaleureuse des cuisines, les discussions bourrues de la salle des gardes, les mystères des passages secrets poussiéreux, le calme des écuries. On parcourt les pièces froides réchauffées par des cheminées et éclairées à la bougie, on croise des pages et des seigneurs en visite. Depuis la lecture du roman, j’ai une envie renouvelée de visiter de vieux châteaux !

Une plume fluide et riche

L’Assassin royal se lit très facilement, mais la plume de Robin Hobb est tout de même recherchée : elle emploie un vocabulaire varié, parfois volontairement vieillot, adapté à l’ambiance médiévale de l’univers. Son écriture a une grande puissance évocatrice.

Petit détail : j’ai parfois buté sur certaines tournures de phrases ou expressions qui sonnaient mal, et je me demande si cela provient de la traduction.

couverture de l'assassin royal, deuxième époque première partie

Analyse détaillée de l’intrigue et des personnagesavec spoilers

Une narration simple et efficace 

La narration, à la première personne, est centrée sur le point de vue de Fitz, et suit le cours chronologique des événements. À part une ellipse assez longue entre les deux époques, qui amène le lecteur à se demander ce que sont devenus les personnages depuis qu’il les a quittés, l’histoire est dévoilée de façon totalement linéaire, le plus simplement possible.

La seule exception à cette narration unifiée est une technique souvent utilisée en fantasy, et qui fonctionne en général très bien à mon goût : l’insertion à chaque début de chapitre d’un court paragraphe hors de l’intrigue, qui fournit des informations plus globales sur les magies, l’histoire d’un personnage, les Six-Duchés. Parfois le lien avec l’histoire est évident, parfois on ne comprend pas tout de suite l’intérêt de ce que l’on vient de lire. Ces encarts peuvent prendre des formes diverses : extraits de livres d’histoire, chansons, lettres, comptes-rendus d’espions, etc. Ils permettent d’attiser la curiosité du lecteur sur des questions en suspens, et de lui donner du recul sur l’histoire et l’univers. 

Cette technique est bien pratique pour s’extraire de la narration à la première personne, qui restreint considérablement les informations que l’on peut donner au lecteur, puisqu’il faut que le narrateur y ait lui-même accès au cours du récit.

J’ai relevé un autre petit jeu narratif auquel l’autrice semble bien s’amuser : les titres des chapitres sont très brefs (en général un seul mot), et ont souvent l’air d’en révéler beaucoup sur les événements à venir. Ils sont utilisés par Robin Hobb pour mettre le lecteur en alerte, et parfois le pousser à suivre une fausse piste.

Exemple avec un chapitre intitulé « Trahison » : paradoxalement, on pourrait penser que l’autrice amoindrit la surprise en nous prévenant qu’une trahison va avoir lieu. À la vue de ce titre, le lecteur inquiet est à l’affût d’indices sur l’identité du traître, et bien entendu il en trouve, savamment disséminés.Il fonce tout droit dans le piège préparé par l’autrice : la trahison n’est pas là où on l’attendait, et on se fait cueillir comme un débutant.

Étude des personnages et de leurs relations

Umbre 

J’ai adoré l’évolution de ce personnage, qui se révèle de plus en plus complexe et sombre. Robin Hobb s’amuse avec l’un des tropes les plus connus de la fantasy : le vieux mentor bienveillant et son apprenti. Quand Fitz le rencontre, on croit avoir affaire à la figure classique du guide par excellence, le savant reclus dans sa tour, plein de secrets, qui prend le jeune héros sous son aile pour partager sa connaissance. Mais leur relation va évoluer au-delà de ce trope et s’enrichir de bien des nuances, y compris négatives.

En effet, si Umbre développe une incontestable affection pour Fitz, qu’il appelle tendrement « mon garçon », il ne perd jamais de vue ses propres objectifs, et n’hésite pas à faire souffrir les autres quand il estime cela nécessaire pour la protection de la lignée royale. Il ne cesse de manipuler, de comploter, et Fitz se sentira utilisé à de nombreuses reprises. 

Devant ce personnage plein de nuances, le lecteur passe de la compassion pour un vieillard ayant connu une grande souffrance, à l’agacement voire à une certaine répulsion pour sa froideur et son contrôle inflexible, en passant par l’amusement devant son excitation enfantine pour ses sortilèges.

« Il était installé dans son fauteuil devant le petit feu qui brûlait dans l’âtre. Il faisait toujours froid chez lui et il y était sensible. Il paraissait fatigué, aussi, ce soir, épuisé par ce qui l’avait retenu toutes ces semaines où je ne l’avais pas vu ; ses mains en particulier semblaient vieillies, osseuses, enflées au niveau des articulations. »

(1re époque, intégrale 1, page 202)

De plus, derrière sa volonté affichée de servir le roi à tout prix, on découvre une certaine soif de pouvoir personnelle : même diminué par la vieillesse, il s’accroche de toutes ses forces à la place qu’il s’est construite, et ne supporte aucune remise en cause de son autorité.

Il cache également un lourd ressentiment du fait de la vie de reclus qu’il a dû mener, exclu de la Cour par son statut de bâtard, et privé à ce titre des enseignements auxquels il aspirait désespérément. Dans la deuxième époque en particulier, on perçoit à quel point il est amer, et prêt à tout pour prendre une certaine revanche sur son destin, quitte à abandonner toute prudence. 

Si au début de leur relation Fitz lui est entièrement dévoué et lui porte une grande admiration, en grandissant il s’aperçoit avec lucidité des vices du vieillard, et se trouve souvent en profond désaccord avec ses choix. Sur certains plans, il sent qu’il a en quelque sorte dépassé son maître, et n’hésite pas à s’opposer à lui à plusieurs reprises.

Je trouve intéressant de comparer l’évolution des deux relations maître/apprenti de Fitz, avec Umbre et Burrich. En effet, le gamin inexpérimenté est immédiatement séduit par l’aura d’Umbre et l’importance qu’il lui accorde, tandis qu’il est profondément blessé par la dureté et l’exigence de Burrich. Sa relation avec celui-ci sera marquée par beaucoup de colère réciproque, et de longues périodes de silence. Pourtant, on s’aperçoit que, même s’il est entravé par son éducation et incapable de dépasser ses préjugés, Burrich a bel et bien nourri un amour profond pour Fitz, et a toujours cherché à la protéger, contrairement à Umbre. Le jeune homme en sera bien conscient, sa relation avec Burrich devenant plus proche de celle d’un père et son fils.

« Le maniement d’armes ne me manquerait pas ; comme Umbre me le répétait souvent, un véritable assassin officie de près et sans bruit. Si j’apprenais convenablement mon métier, jamais je n’agiterais d’épée sous le nez de personne. Mais les heures avec Burrich… Encore une fois, j’éprouvais cette étrange impression d’ignorer ce que je ressentais. Je détestais Burrich… parfois. Il était arrogant, tyrannique et insensible. Il me voulait parfait, tout en m’avertissant d’emblée que je n’y gagnerais jamais la moindre récompense. Mais il était franc, aussi, carré, et persuadé que j’étais capable de ce qu’il exigeait de moi. »

(1re époque, intégrale 1, page 204)

Œil-de-Nuit 

Cette amitié entre un homme et un loup, plus profonde que toute amitié humaine, est bouleversante. Emblématique de l’Assassin royal, elle se construit petit à petit, et se développe en réalité assez tardivement dans la première intégrale, permettant à Fitz de connaître avant lui deux autres potentiels compagnons de Vif.

Grâce à cette magie, l’autrice nous fait entrer dans les pensées du loup, et partager toute la complicité du duo. Leurs échanges figurent parmi ceux que je préfère, pleins de tendresse bougonne, de taquinerie, et vidés de tous les faux-semblants qui noient les conversations humaines.

« Œil-de-Nuit s’était levé en s’étirant avec raideur, et il vint se coucher près de moi. Il posa le museau sur mon genou. Je ne comprends pas. Tu es malade ?

Non. Idiot, c’est tout.

Ah ! Rien de nouveau, alors. Tu n’en es pas mort jusqu’ici.

Mais il s’en est fallu de bien peu parfois. »

(2de époque, intégrale 1, page 49)

Robin Hobb nous montre la force que peut atteindre le lien entre un homme et un animal. Leur relation, et plus globalement les liens construits grâce au Vif, sonnent comme un plaidoyer pour le respect et la tolérance. Les animaux sont des êtres doués d’intelligence et d’affection, avec qui un homme peut nouer une relation enrichissante, en apprenant énormément, pour peu qu’il comprenne et accepte les différences de l’autre.

L’autrice n’humanise jamais complètement Œil-de-Nuit, qui garde ses priorités de loup, et ne comprend pas les atermoiements des humains. Il apporte une certaine sagesse à Fitz, celui-ci ayant une forte tendance à ressasser les choses et à développer mille craintes pour l’avenir, sans savoir vivre pleinement dans le présent.

Toutefois, pour ne pas quitter son ami, Œil-de-Nuit doit renoncer à une grande partie de la vie normale d’un loup : il ne vit pas en meute, ne se reproduit pas, et participe à des combats qui ne sont pas les siens. Fitz est conscient des sacrifices consentis, et en porte la culpabilité. Leur amitié, comme toute véritable relation, est faite de multiples facettes, de compromis parfois douloureux, et elle n’en est que plus réaliste.

« Je crois que je suis seul depuis trop longtemps. J’avais oublié ce que c’était d’avoir un ami.

Il cessa de mâchonner son os pour me regarder avec un vague amusement. 

Un ami ? C’est un mot trop petit, frère. Et qui va dans le mauvais sens. Alors ne me regarde pas comme ça. Je suis à toi ce que tu es à moi : un frère de lien et de meute. Mais tu n’auras pas toujours besoin que de moi. »

(1re époque, intégrale 1, page 658)

Le fou

On touche ici au cœur de l’histoire : Fitz et le fou constituent le duo central de l’œuvre.

Pourtant, le fou entre par la petite porte dans la vie de Fitz. Ses premières apparitions sont brèves et anecdotiques, on ne comprend pas ses messages cryptiques, et ses bouffonneries sont agaçantes. Mais il est le seul enfant à la Cour avec Fitz, et celui-ci n’aura donc de cesse de le revoir.

L’autrice entretient parfaitement le mystère sur cet incroyable personnage, et pendant une grande partie du récit, plus on en apprend sur lui, plus on se pose de questions. Intrigant, il se dérobe toujours avec malice, maîtrisant à la perfection la joute orale. Il se distingue par sa beauté hors norme, sa force physique discrète, et sa capacité illimitée à jouer un rôle en permanence, sans dévoiler sa véritable personnalité.

On comprend qu’il suit ses propres plans et que ceux-ci vont finir par prendre de l’importance dans l’intrigue, mais Robin Hobb prend son temps, et laisse son arc narratif majeur dans l’ombre jusqu’à la seconde époque.

« Aujourd’hui comme alors, il créait la réalité autour de lui, il apportait l’ordre et la paix dans une petite île de lumière et de chaleur baignée de l’odeur simple du pain en train de cuire.

Il tourna son regard vers moi et ses yeux d’or reflétèrent la lueur des flammes. La lumière du feu détourait la ligne de ses pommettes et se fondait dans la pâleur de ses cheveux. Je secouai doucement la tête. 

« En l’espace d’un crépuscule, tu me montres l’étendue du monde du haut d’un cheval et toute son âme entre mes quatre murs.

– Oh, mon ami ! » fit-il à mi-voix. Il n’avait pas besoin d’en dire davantage. »

(2de époque, intégrale 1, page 118)

Son attachement à Fitz se construit lentement, sur des années, pour acquérir la force d’un lien développé de l’enfance à l’âge adulte. Leur confiance mutuelle grandit au fil des épreuves traversées ensemble, et atteint ce stade de confort parfait de l’amitié sereine, où l’on peut laisser s’installer le silence sans aucune gêne.

« La conversation se réduisait à peu de chose ; le fou fredonnait, le feu crépitait, les couvercles tressautaient et laissaient échapper de temps en temps des gouttes qui s’évaporaient en sifflant au milieu des flammes ; le pilon qui écrasait les haricots aromatiques produisait un bruit simple et familier dans le mortier. Pendant quelque temps, nous vécûmes le temps comme le fait un loup, dans la satisfaction du présent, sans nous soucier du passé ni de l’avenir. Cette soirée demeure pour moi un souvenir précieux, aussi limpide et odorant que de l’eau-de-vie dans un verre en cristal. »

(2de époque, intégrale 1, page 118-119)

Pourtant, les différences du fou vont mettre les préjugés de Fitz à rude épreuve, en particulier ses représentations de la virilité, de l’homosexualité, de l’amour. Leur relation fait grandir le jeune héros, il gagne en tolérance et en bienveillance.

Enfin, le personnage du fou apporte un côté mystique à l’intrigue, et sa quête en tant que Prophète blanc permet d’aborder des thèmes profonds, tels que le poids du destin, le rôle de l’individu face à la masse, la domination des Hommes sur la planète. J’ai adoré l’idée de réintégrer les dragons sur la Terre, créatures aussi égoïstes que les Hommes, afin de montrer à ces derniers qu’il ne sont pas les plus puissants, leur apprendre la peur, et mettre fin à leur domination sur les autres espèces. Le message écologique est clair : qui viendra empêcher les Hommes de détruire la nature ?

couverture de l'assassin royal, deuxième époque deuxième partie

Les magies des Six-Duchés, des personnages à part entière

L’autrice offre à ses deux magies un traitement aussi intéressant que celui de ses personnages : on apprend à les connaître lentement, parfois par des révélations étonnantes, on comprend peu à peu les embranchements sous la surface, on suit leur évolution. 

Le Vif, en particulier, connaît un parcours digne de l’arc narratif d’un protagoniste : d’abord secret honteux et méprisé, il séduit toutefois le cœur du lecteur comme un petit frère rebelle face à l’Art, son arrogant aîné de sang royal. Le Vif nous permet en effet d’assister à la construction de la relation faite de respect, de tolérance, d’apprentissage mutuel entre Fitz et le loup. Dès lors, comment ne pas prendre fait et cause pour sa beauté et sa puissance ? On souhaite que cessent les répercussions contre les « vifiers » et on souffre de l’injuste ostracisation de la pratique. Et là aussi, Robin Hobb nous offre une superbe évolution, qui donne sa revanche à la magie de l’ombre. Le Vif va en effet bénéficier de plus en plus de reconnaissance, jusqu’à l’introduction d’un Maître de Vif à la Cour, et la création d’un clan de Vif autour du roi, exactement comme dans la tradition de l’Art.

Extrait

« Il se pencha soudain et avança sa main gantée. Il ne saisit mon poignet qu’un instant et nos peaux ne se touchèrent pas, mais, en un éclair, je sentis un lien entre nous. Je ne sais pas comment décrire cette impression ; ce n’était pas l’Art, ce n’était pas le Vif, ce n’était pas de la magie, du moins telle que je la connais. Cela se rapprochait de la sensation de déjà vu dont on est parfois saisi dans un lieu pourtant inconnu ; j’eus l’impression que nous nous étions déjà trouvés assis face à face, que nous avions déjà prononcé les mêmes paroles, et qu’à chaque fois elles s’étaient achevées sur ce bref contact. Je détournais les yeux du visage du fou, mais ce fut pour croiser le regard du loup qui me brûla jusqu’à l’âme. » 

(2de époque, intégrale 1, page 219)

Pour aller plus loin 

Un petit rappel de l’ordre de lecture conseillé des différents cycles de Robin Hobb : 

L’Assassin royal, première époque

Les Aventuriers de la mer

L’Assassin royal, seconde époque

Les Cités des Anciens

Le Fou et l’Assassin